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Politique étrangère : « Le dangereux écart entre paraître et faire. Ce sont les intérêts qui comptent ! »

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Schengen (Luxembourg), un morceau du mur de Berlin portant la colombe de la Paix. Cliché Sophie Clairet, 2015.

En 2014, Pr. Herfried Münkler de l’université Humboldt propose « Die gefährliche Kluft zwischen Schein und Tun. Auf die Interessen kommt es an! » au titre de contribution au débat Review 2014. Außenpolitik Weiter Denken. Le ministère allemand des Affaires étrangères a posé cette question à une cinquantaine d’experts reconnus « Si quelque chose ne va pas avec la politique étrangère allemande, qu’est-ce que c’est ? Que faut-il changer ? ». Le professeur répond en détaillant les multiples dangers d’un écart entre les véritables orientations et ce qu’on en communique. Voici une libre traduction de sa contribution.

Résumé : (…début de la traduction…) À la vérité, la politique étrangère allemande est guidée par les intérêts de l’Allemagne plus que par ses valeurs. Il faut que les hommes politiques agissent honnêtement, afin que l’écart entre la représentation publique et la réalité des objectifs de cette politique étrangère ne compromette pas le soutien que leur accordent les citoyens et que leur crédibilité démocratique et stratégique ne soit pas remise en question.

Le principal problème de la politique étrangère allemande réside dans sa communication ou plus précisément dans le décalage entre ses bases et son orientation d’une part et d’autre part la présentation et le discours public qui en sont faits.
Cette politique étrangère est effectivement bien plus étroitement orientée vers les intérêts propres du pays que ne l’est sa communication publique, qui reste campée sur un alignement par rapport à des valeurs et au concept d’amitié.
On est fermement arrimé à un système de valeurs occidental et associé dans l’amitié au club des États qui en font partie. Et surtout, les intérêts allemands qui nous différencieraient des « amis » ne sont pratiquement jamais mentionnés. Pourtant ces intérêts existent bel et bien et font aussi partie des objectif politiques.
Mais dès que la conversation se porte vers cette politique, comme pour en faire tomber le masque officiel, on se trouve embarrassé de voir les valeurs et les intérêts ainsi dévoilés ensemble : les deux peuvent parfois se contredire et les valeurs passer encore une fois à l’arrière plan. Lorsque d’aventure ce type de communication se produit, la politique officielle devient mutique. Elle passe en mode veille jusqu’à ce que l’attention du public se détourne vers d’autres sujets.

Le manque de sincérité se transforme en vulnérabilité

Cette divergence entre l’affichage public et la réalité de ses objectifs augmente la vulnérabilité démocratique de la politique étrangère allemande, parce que cet écart est toujours scandaleux. Ce n’est pas seulement scandaleux pour ceux qui estiment que les valeurs sont plus importantes que les intérêts mais également dans tous ces cas où les intérêts peuvent être contradictoires et délégitimer, sous couvert de respect des valeurs, tout ce qui se présente en travers du chemin.
Par conséquent, on passe de la vulnérabilité démocratique à la vulnérabilité stratégique. En effet, l’écart entre l’affichage public et la finalité réelle empêche non seulement les citoyens du pays de soutenir à long terme (autrement dit d’exercer un soutien critique) la poursuite des intérêts allemands, mais offre également l’occasion à des intérêts tiers d’utiliser cet écart à leurs propres fins.
Sur le long terme, il est donc dans l’intérêt de la politique allemande d’éliminer cette divergence. Ce n’est toutefois pas si facile, car l’écart n’est pas seulement dû aux sources officielles qui donnent une image différente de ce qui correspond à la réalité de leurs objectifs. L’idée qu’en matière de politique étrangère allemande le respect des valeurs va de pair avec ses intérêts constitue un invariant de la communication officielle auquel les commentateurs politiques, une bonne partie de la communauté scientifique et surtout les ONG ont contribué.
Une telle image ne peut pas être modifiée par le service de communication du ministère des Affaires étrangères, elle doit changer lentement et par petites touches. Ce changement est long et laborieux, mais indispensable. Réduire cette vulnérabilité répond à la fois à des intérêts allemands et à des intérêts européens bien compris.
En voici une présentation en trois points : les intérêts spécifiques de l’Allemagne « État commercial » (autrement dit l’exportation), les implications de la situation géopolitique de l’Allemagne au centre de l’Europe et cette exigence de plus en plus forte d’accorder de l’importance à une politique de sécurité à la périphérie de l’Europe.

Un Parlement dépourvu de compétence en politique étrangère

Pour parvenir à s’adapter à ces défis cruciaux, il faut résoudre en même temps un problème qui a pris une ampleur croissante depuis la réunification : le manque de compétences en politique étrangère au Parlement comme dans les partis politiques. Cette situation vient probablement de ce qu’on ne peut pas spécialement se prévaloir dans sa circonscription d’être un fin spécialiste de politique étrangère et que par dessus le marché on est plutôt marginalisé au sein des différents partis lorsqu’on s’écarte des débats considérés comme essentiels. En d’autres termes on fait face à un problème de promotion et de garantie de sa carrière politique. Pour cette raison, les talents politiques les plus prometteurs ne se risquent pas dans les commissions des Affaires étrangères du Bundestag. L’absence sur les plateaux de télévision de parlementaires spécialistes de politique étrangère constitue un indicateur de ce déficit de compétence au Parlement. Et lorsque des politiciens « généralistes » se chargent de parler de politique étrangère, ils s’illustrent moins par une expertise technique que par leur approche classique moralisatrice. Tout cela fait également partie de la vulnérabilité démocratique de la politique étrangère allemande.

Des intérêts économiques – c’est clair !

L’autosatisfaction de l’ancienne République fédérale et de l’Allemagne réunifiée se fonde essentiellement sur des succès économiques : la hausse constante du niveau de vie, la relance ou la conquête de marchés à l’export pour les productions industrielles et la réputation d’une qualité allemande connue dans le monde entier. À côté de ces effets indiscutablement stabilisateurs, la prospérité économique a contribué à une stabilité politique sous forme d’« autoreconnaissance ».
Et par conséquence, il est toujours revenu à la politique étrangère allemande de contribuer aux conditions générales qui favorisent ces succès économiques à l’export en agissant comme « ouvre-porte » pour les productions industrielles nationales. Et en retour, la politique étrangère allemande a également profité de ce goût pour les produits allemands (un peu moins dans le cas des ventes d’armes).
Toutefois, on est toujours un peu gêné par cette relation, ce qui explique qu’on l’assume rarement publiquement. Et ce d’autant plus que la sphère politique se compose bien davantage de talents provenant des milieux économiques que des milieux militaires.

Il faut passer clairement d’une communication honteuse à une communication assumée sur les intérêts économiques de l’Allemagne, sans remettre en question le soutien apporté par la politique étrangère allemande. Il faudra bien reconnaître que ces deux composantes que sont les valeurs et les intérêts peuvent se faire mutuellement concurrence et que la décision de préférer les unes ou les autres joue un rôle important à moyen et long terme. En reconnaissant cet état de fait, on contribue à réduire la vulnérabilité démocratique de la politique étrangère allemande.

La position centrale, atout et provocation

La situation géopolitique de l’Allemagne au centre du continent est à la fois un atout et un défi pour la politique allemande, et pas que pour la seule politique étrangère au sens strict du terme. Cette situation centrale de l’Allemagne a traditionnellement constitué un défi politique, en termes de guerre ou de paix, face auquel l’Allemagne a parfois échoué ou s’est trouvé débordée. Aujourd’hui, le défi que pose la politique de stabilité et d’intégration s’est tellement élargi à l’ensemble des États-membres que l’avenir du développement de l’UE et de l’euro dépend essentiellement de l’habileté et de la clairvoyance de la politique allemande.
Comme toujours voilà comment on définit le centre de l’UE : l’axe germano-français, le triangle de Weimar ou l’expression Berlin, Paris et Londres – aucune de ces définitions du centre de décision de l’UE ne fonctionne si on ne cite pas l’Allemagne.
Cette position prépondérante de l’Allemagne est bien plus présente dans la perception que se font la majorité des députés de l’UE que dans celle des députés allemands. Il y avait (et il y a) de bonnes raisons pour que l’Allemagne s’impose une grande retenue lorsqu’elle met en valeur son rôle de « puissance centrale du continent » (Hans Peter Schwarz), mais compte tenu des contraintes financières qui se sont accumulées sur la population allemande, il est opportun de faire savoir que ce rôle constitue l’autre face de la hausse des charges financières. On devrait ainsi éviter qu’un renvoi polémique à l’histoire allemande (c’est notre vulnérabilité historique) remette en question notre politique étrangère.
En contrepartie de la contribution de l’Allemagne, la plus importante au budget de l’UE, il y a des avantages que le pays tire de sa situation géopolitique. On peut se permettre de petites musiques populistes anti-européennes à la périphérie de l’Europe, mais au centre de l’Europe ou du pouvoir central de l’Europe, elles auraient des conséquences dévastatrices.

Politique de stabilité préventive aux marges de l’Europe

C’est de cette prospérité économique, de cet ancrage dans le réel qu’elle donne à la puissance allemande, que dépendent non seulement la paix en Europe, mais aussi la stabilité politique et sociale de la périphérie européenne. Le principal défi de la sécurité au XXIe siècle ne réside pas dans un risque posé aux frontières par des unions militaires hostiles mais dans le fait que des flux de réfugiés violents franchissent ces frontières, et que s’ils se produisent en masse, ces flux ne profiteront pas à la prospérité économique de l’Europe. Au contraire, ils surchargeront les systèmes de protection sociale des États européens, où par ricochet ils remettront en cause l’ordre social.
Compte tenu de ses engagements moraux, l’Europe n’est pas en mesure simultanément d’arrêter et de repousser ces flux de réfugiés à ses frontières, comme on le ferait face à une attaque militaire. Il faut donc se doter d’une politique de stabilisation préventive ou préemptive dans la périphérie européenne pour empêcher que de tels flux de réfugiés puisse se déclencher à l’occasion de crises ethniques ou interconfessionnelles, à cause de la misère économique ou, de ce qui l’accompagne, l’absence de perspectives sur fond de rivalités entre puissances régionales.
Les Allemands sont prêts à accepter les risques d’une politique centrée sur la stabilité politique qui agirait dans le cadre d’interventions humanitaires associées à des opérations militaires que si ces risques sont présentés et discutés à l’avance et de manière responsable avec les citoyens. (…fin de la traduction…)

Sur le contexte :

Après son retour au poste de ministre des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne en 2013, Frank-Walter Steinmeier lance Review 2014. Außenpolitik Weiter Denken (Bilan 2014 – Réfléchir à la politique étrangère). Durant toute l’année que dure la consultation, les contributions sont placées sur une plateforme en ligne accessible au public qui les discute – désormais archivées elles restent consultables. Une fois les résultats de la consultation présentés au Bundestag, le ministère ouvre la phase de mise en application. Et le 5 juillet 1016, il lance peacelab2016, plateforme destinée à stimuler la réflexion sur la prévention des crises. Le 12 février 2017 Frank-Walter Steinmeier est élu président de la République fédérale allemande par le Parlement. Cette fonction, sans pouvoir réel sur l’exécutif, permet de porter la parole du pays à travers le monde.

Herfried Münkler est un chercheur allemand en sciences politiques des plus influents, connu notamment pour son ouvrage sur la Première guerre mondiale, sur les guerres asymétriques ou encore les nouveaux Allemands.

Pour aller plus loin :

Herfried Münkler, « Les guerres asymétriques », Diplomatie n°9, Areion, 2004
Herfried Münkler, « À propos des conflits : destructeurs ou productifs ? », Les Grands Dossiers de Diplomatie n°7, Areion, 2012

Sophie Clairet


La télévision en Région : images d’un rapport de forces

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Les extraits sélectionnés concernent l’Espagne et en particulier la Catalogne. La présentation des télévisions régionales du reste de l’arc méditerranéen a été retirée. Intérêt : éclairer l’une des données du processus de normalisation de la culture catalane. Texte extrait de ma thèse soutenue en 2000. Ni le texte ni les titres n’ont été modifiés.

Le dépôt du brevet de Vladimir Zworykin en 1923 inaugure une série de recherches internationales, qui aboutissent en 1948 à la diffusion de programmes télévisés réguliers destinés à un vaste public. La télévision est aujourd’hui une véritable image du lien social, patent dans la définition que Frédéric Barbier et Catherine Bertho Lavenir[1] donnent des médias : système de communication permettant à une société de remplir tout ou partie des trois fonctions essentielles de la conservation, de la communication à distance des messages et des savoirs, et de la réactualisation des pratiques culturelles et politiques. Cet aspect éminemment social contribue à faire de la télévision un enjeu politique. Ainsi, pour reprendre l’idée de Dominique Wolton[2], les télévisions généralistes nationales jouent un rôle capital d’identité nationale (…) Ce qui explique l’enjeu politique que constitue l’existence de télévisions nationales.  La question identitaire qui lie les télévisions nationales aux pouvoirs politiques des États marque également le développement des antennes régionales ou les limites de leur développement. Le rapport entre les télévisions et les questions régionales, ainsi que l’historique des magazines télévisés régionaux méritent donc toute notre attention.

Un enjeu pour les États et pour l’Europe

Télévisions et antennes régionales se mettent en place dans le contexte de la régionalisation. Elles composent un sujet de choix pour les études conduites sous l’égide du Conseil de l’Europe, plus que pour les États dont elles composent un élément d’affaiblissement de la souveraineté.

La fin du modèle national

Jusqu’aux années 1980, les télévisions européennes sont contrôlées par les États. A la différence des télévisions aux États-Unis, les télévisions européennes suivent dans un premier temps un modèle national et populaire. La diffusion de ce modèle étatique épouse différentes voies. Ainsi l’Europe du Nord est pionnière, l’Angleterre et la République Fédérale d’Allemagne étant rapidement équipées. En Europe du Sud, en particulier en France, en Italie et en Espagne, ce média pénètre plus lentement. Les variations sont liées aux écarts socio-politiques et culturels entre ces différentes sociétés. De l’avis de Frédéric Barbier et Catherine Bertho Lavenir[3] les pays urbanisés où existe une population ouvrière anciennement socialisée se sont dotés plus rapidement de postes récepteurs que les pays à forte population rurale.

En France, l’ORTF créée le 27 juin 1964 dirige la fabrication et la gestion de la grille de programmes. En Italie, la RAI et en Espagne la Télévision Espagnole (TVE) offrent sensiblement le même type de fonctionnement. La RAI développe au cours des années 1960 un modèle de télévision pédagogique. À partir de 1961 et durant les 14 ans que dure la direction de Barnabei, la RAI est pour reprendre l’expression de Chantal de Gournay, Pierre Musso et Guy Pineau[4] un modèle vertical de diffusion unidirectionnelle d’un centre à une périphérie atomisée et passive. De la même manière, sous la dictature de Franco, la Télévision Espagnole (TVE) est selon Richard Maxwell[5] le principal instrument de domination idéologique du régime. La télévision a longtemps été un média et un outil national, la diffusion des ondes étant contrôlée par les Ministères des Postes et Communications.

Depuis une dizaine d’années, l’influence croissante des partenaires privés et les transformations des opinions publiques sont en passe de remettre en question ce modèle. Dès 1976, la pression commerciale provoque en Italie la multiplication des télévisions locales, et aboutit en 1984 à la constitution du monopole de Silvio Berlusconi[6]. En Espagne, la chute de la dictature franquiste donne naissance aux télévisions autonomiques, tandis qu’en France se développent progressivement des antennes régionales, des décrochages locaux, et des chaînes privées.

Les années 1980 marquent la fin des monopoles nationaux. La coïncidence temporelle entre cette évolution et la création, tant en Italie qu’en France et en Espagne, d’un nouvel échelon de référence -la région- est à retenir. Dans la mesure où l’évolution de la télévision n’a pas modifié sa valeur de lien et de miroir social, les antennes régionales renvoient désormais une image de ce nouveau territoire.

Un enjeu pour le Conseil de l’Europe

La relation entre télévision régionale et identité fait l’objet d’importantes études, notamment au Québec et au sein des instances du Conseil de l’Europe, ces recherches s’inscrivant dans des contextes politiques teintés de fédéralisme. Comme l’a montré Dominique Wolton, les modèles de société influent sur la forme des télévisions ; et nous pouvons ajouter que les contextes politiques conditionnent l’état des recherches sur la télévision. En somme la fin du modèle national n’a pas altéré le rapport entre ce puissant média et ses enjeux socio-politiques.

Ainsi, sous l’égide du Conseil de l’Europe[7], sont régulièrement réalisées des études sur le rôle des médias -notamment du plus puissant d’entre eux, la télévision- dans la constitution, le renforcement de l’identité régionale. Les études leur reconnaissent un rôle majeur, bien que les auteurs, à l’exception d’Imma Tubella, hésitent à évoquer une causalité directe en raison de la profusion d’hypothèses proposées dans les théories des médias.

Imma Tubella, professeur de communication à l’Université de Barcelone, Directrice du Service des Relations Internationales de la Corporation Catalane de Radio et Télévision a réalisé en 1992, à la commande du Conseil de l’Europe, un rapport sur ce lien entre télévision et identité culturelle[8]. Si à son avis l’identité est la personnalité des peuples[9], la télévision est un instrument de formation des goûts et des idées[10]. Elle n’hésite pas à affirmer que la télévision a davantage modifié les coutumes individuelles et collectives que l’électricité ou le moteur à explosion[11].

Pour le compte du Conseil de l’Europe, Pierre Musso a dirigé en 1995 une vaste étude sur les médias et la formation des identités culturelles dans dix huit régions d’Europe. Son postulat s’écarte très nettement de la conception d’Imma Tubella :

La question traditionnelle est de savoir comment les médias participent à la formation ou à la représentation de l’identité culturelle des régions en Europe. Or ce questionnement suppose (…) que les médias ont «des effets » constitutifs d’une identité culturelle, alors qu’ils en sont plutôt le révélateur ou la «mise en scène » [12].

D’après Pierre Musso, le lien entre télévision et identité régionale n’est pas d’ordre causal. La question de la nature des liens entre les télévisions et l’identité régionale fait l’objet de recherches qui à l’heure proposent différentes voies, sans véritablement trancher[13]. (…)

La mise en place d’antennes et de télévisions régionales ne doit pas faire oublier l’enjeu stratégique que représente pour un État le contrôle des réseaux de communications. Chaque État est souverain en matière de diffusions des ondes à l’intérieur des ses frontières, et il contrôle l’octroi de canaux hertzien au travers différents organismes publics (Télé Diffusion de France notamment).

Cet enjeu opère à l’échelle mondiale, quelles que soient par ailleurs les libertés accordées aux chaînes privées. La mise en place d’antennes et de télévisions régionales ne signifie pas la fin du contrôle des diffusions par l’État. La marque de l’État apparaît dans les différents modèles de chaînes régionales, décentralisé (France), fédéraliste (Espagne) ou mixte (Italie). (Fin de l’extrait des pages 28-31)

Le modèle «fédéraliste » : le système espagnol

Ce modèle présente une offre essentiellement publique et des stations régionales autonomes. On peut penser avec Pierre Musso qu’il existe un lien entre cette structure et le type d’organisation de l’État : La structure fédérale de l’État ou la force de la revendication régionale en sont des facteurs explicatifs[14]. Des États fédéraux comme l’Allemagne, la Suisse, la Belgique ou le Canada correspondent à ce modèle. On peut noter que les télévisions autonomiques espagnoles, telles que ETB (télévision basque), TV3 ou Canal 33 (télévisions catalanes), Canal 9 (télévision valencienne), Canal Sur (télévision andalouse) y correspondent également alors que l’Espagne n’est pas un État fédéral. Dans ce cas unique en Europe, les revendications régionales ont crée les conditions de mise en place de telles télévisions à la mort de Franco.

La télévision au cœur des enjeux autonomiques

Après la période du franquisme, durant laquelle la Télévision Espagnole (TVE) était selon Richard Maxwell[15] :

le principal instrument de domination idéologique du régime, les velléités autonomistes espagnoles se réveillent, en particulier au Pays Basque, en Galice et en Catalogne. Ces trois autonomies seront les premières à se doter de télévisions. La Corporation Catalane de Radio et Télévision (CCRTV) est fondée en mai 1983. La création de TV 3 fut l’une des premières lois approuvées par la chambre catalane, le 30 mai 1983, et émet en catalan depuis 1984. Le gouvernement de Felipe Gonzales fut obligé de légaliser a posteriori la télévision basque (ETB) et TV-3 par la loi 46 du 26 décembre 1983.

Le média télévisé s’inscrit très précisément comme nouveau vecteur de reconnaissance territoriale et culturelle. La télévision catalane est représentative de ce phénomène et montre en outre la position de force de la Catalogne face à Madrid. Le texte de Richard Maxwell laisse penser que, prise dans de tels enjeux politiques, la télévision autonomique n’ait pas réellement d’autre but que la télévision de l’époque franquiste, à savoir une visée idéologique. Toutes les autonomies ne bénéficient pas des mêmes conditions tant dans les domaines financiers que politiques, et les télévisions présentent des caractéristiques variées.

(…)

La télévision nationale : TV 3 et Canal 33

La télévision : un enjeu pour la nation catalane

Le principe inspirateur de TV-3 est la normalisation de la langue et de la culture catalane[16]. La terminologie utilisée par les Catalans met l’accent sur la politique de généralisation de la langue catalane comme une véritable norme, ce qui ne va pas sans poser des problèmes d’exclusion des migrants originaires d’Andalousie notamment. La vocation nationale, et non pas territoriale a conduit l’aire de diffusion à dépasser largement les découpages administratifs de la Généralité. Ainsi, la carte dressée par Richard Maxwell en 1988 (figure 2) met en évidence la coïncidence entre l’aire de diffusion de TV 3 et les Països Catalans, ou pays catalans –aire d’extension de la Catalogne au Moyen Age, qui aujourd’hui correspond à l’aire d’extension de la langue catalane : Catalogne, Catalogne française, Baléares, et une partie du Pays Valencien.

Régions électroniques non officielles des télévisions catalanes

(TV3), galicienne (TVG) et basque (ETB) en 1988

Carte de Maxvwell

Richard Maxwell commente ainsi sa carte :

La couverture de TVG et TV3 reflète les efforts des téléspectateurs respectifs du Portugal et de Valence pour étendre la région électronique afin de l’ajuster aux zones linguistiques et aux communautés de culture. La couverture de ETB reflète les tentatives des personnalités de la télévision pour étendre leur audience jusqu’au Pays Basque Français (Nord Euskadi) et en Navarre. Officiellement, les signaux ne portent pas au-delà des frontières politiques de chaque région.[17]

Si la Corporation Catalane de Radio et de Télévision reste très prudente sur ce point, il semble qu’une réflexion sur les limites l’aire de diffusion de TV-3 soit directement en relation avec les Pays Catalans. Robert Maxwell reprend d’ailleurs cette idée dans son ouvrage :

Avec davantage de succès que dans le cas basque, TV-3 projetait au gouvernement nationaliste catalan de la CiU (Convergence et Union) la communauté imaginaire de « els països catalans », un territoire qui inclurait les quatre provinces officielles de la Catalogne, une partie du Sud Est Français (Roussillon) et de l’est de l’Aragon, les trois provinces de Valence, et les îles Baléares. [18]

Des conflits politiques ont résulté de cette hégémonie catalane sur les autonomies voisines. Certes la portée de TV-3 n’était pas le fait de personnalités de la télévision, mais de personnes des régions écartées qui installaient elles-mêmes des relais. A Valence le système qui permettait au signal de TV-3 d’être capté dans le nord de Murcie fut mis en place par un groupe culturel indépendant qui désirait regarder les programmes en catalan (le valencien et le catalan étant des langues proches). Le droit à l’antenne ne fut pas un principe suffisant pour que ces relais restent en activité. Les autorités politiques officielles ont eu pour mission de contenir TV-3. Dans le cadre d’un conflit entre région politique et électronique, les choix des hommes politiques eurent davantage de poids que ceux des téléspectateurs.

Le « containement » de TV-3 devint la base d’une politique de tractations entre le gouvernement catalan et le gouvernement central. Rappelons que la seconde chaîne de télévision catalane, Canal 33, vit le jour en septembre 1988. Les autorités madrilènes ont stoppé immédiatement la diffusion de cette chaîne dans ce contexte de bataille sur l’assignation des fréquences régionales. La coalition conservatrice catalane, Convergence et Union (CiU), a alors négocié avec le gouvernement central la diffusion de Canal 33 en échange de la limitation de l’aire de diffusion de TV-3 à Valence. Le résultat fut que le contrôle sur les interconnexions dans la communauté de Valence revint aux autorités régionales et à Canal 9, la télévision valencienne. Le système illégal des relais fut légalisé plus tard dans la structure de la troisième chaîne.

En septembre 1989, Canal 33 revint sur les ondes régionales. Un mois plus tard, Canal 9 commença à diffuser à travers Valence. En 1990, 3% des téléspectateurs valenciens regardaient encore régulièrement TV-3. (…)

Les télévisions autonomiques sont une émanation du pouvoir régional et leur évolution dépend essentiellement des moyens déployés par les gouvernements autonomes pour en faire des fers de lance de leur politique culturelle. (…)

Image du haut : capture d’écran du site de la télévision catalane TV3 le 7 octobre.

Sophie Clairet, extraits de Paysage, identité régionale : les représentations télévisuelles des territoires dans l’arc méditerranéen, thèse de doctorat, dir. Roland Courtot, Aix-en-Provence, Université de Provence, 2000, 325 p., 35 figures, 20 tableaux.

Notes:

[1] Barbier, F., Bertho Lavenir, C. Histoire des médias de Diderot à Internet, Paris : Armand Colin, 1996, p. 5.

[2] Wolton, D. Penser la communication, Paris : Champs Flammarion, 1997, p. 106.

[3] Barbier, F., Bertho Lavenir, C. 1996, op. cit., 140 p.

[4] Gournay, Ch. (de), Musso, P., Pineau, G. Télévisions déchaînées, La dérèglementation en Italie, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, Paris : La Documentation Française, 1985, p. 29.

[5] Maxwell, R. The spectacle of democracy, Spanish Television, Nationalism and Political Transition, Minneapolis : Presses de l’Université du Minnesota, 1994, p. 5.

[6] La concentration des chaînes de télévision nationales les plus importantes sont alors concentrées dans les mains d’un même propriétaire, le groupe Fininvest de Silvio Berlusconi, hors et contre la loi.

[7] qui travaille activement à la promotion d’une identité européenne.

[8] Tubella, I. Televisió i identitat cultural, El repte de la televisió pública a Europa, Barcelone : Generalitat de Catalunya, Barcelona, 1992, 89 p.

[9] La identitat és la personalitat dels pobles, Tubella, I., op.cit., p. 19.

[10] La televisió és instrument de formació de gustos i idees, Tubella, I., op.cit., p. 24.

[11] La televisió ha modificat més els costums individuals i col.lectius que l’electricitat o el motor d’explosió, Tubella, I., op.cit., p. 25.

[12] Musso, P. « Médias et formations des identités régionales en Europe », in Saez, J.P. Identités, cultures et territoires, Paris : Desclée de Brouwer, 1995, p. 171.

[13] voir supra, section 1, paragraphe 3.

[14] Musso, P., in Saez J.P. op.cit., p. 175.

[15] Maxwell, R. op.cit., p. 5.

[16] Corporació Catalana de Ràdio i Televisió. Informe Annual 1996, Barcelone : CCRTV, cdrom.

[17] The coverage reported for TVG and TV-3 reflected the efforts of viewers in Portugal and Valencia, respectively, to extend the electronic region to fit zones of linguistic and cultural commonalty. The coverage reported by ETB reflects the broadcasters’ attempts to reach audiences in the French Basque Country (Euskadi Norte) and Navarre. Officially, the signals do not reach this far beyond the political borders of each region. Maxwell, R. op. cit., p. 119.

[18]With greater success than in the Basque case, TV-3 projected for the Catalan nationalist government of CiU the imagined community of « els països catalans », a territory that would include the four official provinces of Catalonia, parts of southern France (Roussillon) and eastern Aragon, the three provinces of Valencia, and the Balearic Islands, Maxwell, R., 1994, op.cit., p. 121.

 

Heureux comme en Europe (1/2), frustrations et humanités

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… Dans quel pays est-on le plus heureux ? Où vit-on le mieux ?… Quelle ville offre les meilleures chances de réussite ? Où vos enfants bénéficieront du meilleur cadre ?…
Ces questions ont débordé les Unes de la presse pour constituer une arme d’influence dans la concurrence qui se joue à toutes les échelles entre territoires pour attirer les innovations de rupture et les habitants les plus prometteurs. Et ce sont des pays européens qui font la course en tête.
Au-delà des guerres économiques, ces classements interrogent notre modèle de société : identifier un territoire par sa marque de bonheur pourrait être érigé en « paradigme démocratique ultime ». Le choix de la citation de Shimon Peres en introduction de Best countries. Defining Success and Leadership in The Twenty-First Century en fait la preuve : « Global brands fight discrimination by definition … they have to appeal to everyone. It doesn’t make a difference who you are. They get elected every morning … they are the ultimate democratic paradigm. »[1]
Il faut ajouter que dans les marmites du bonheur, les thermomètres sont nombreux à mesurer les différents ingrédients. Voici donc une petite revue des thermomètres les plus influents que sont le World happiness report (Gallup pour l’ONU), Best countries (U.S. News lancé à Davos). Des marmites et des thermomètres, mais pour quelle recette de société ?

« World happiness report »

Le classement par sondage des habitants les plus heureux selon Gallup pour le Réseau des solutions pour le développement durable des Nations-unies (SDSN). Nombre d’États classés : 155. En voici la première page (http://worldhappiness.report/)World happiness report Le classement est fondé sur six critères, dont trois issus de sondages réalisés par l’institut Gallup : le PIB, le lien social (sur la base de questions posées à un échantillon d’habitants sur leur sentiment de pouvoir compter sur quelqu’un ou non), l’espérance de vie en bonne santé, la liberté, la générosité (dons à des œuvres de charité), et le sentiment de corruption. Dystopia apporte un élément de comparaison avec la moyenne la plus faible pour chaque critère.

Ce Rapport mondial du bonheur est rédigé depuis 2012 par un panel de chercheurs en sciences économiques sur la base de données transmises par l’institut de sondage Gallup. Il reprend le champ lexical utilisé en 2012 dans le cadre d’une réunion de haut-niveau des Nations Unies par le Premier ministre du Bhoutan pour exposer l’usage du « bonheur national brut » comme indicateur du développement de son pays. Il s’inspire de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée en 2011 pour inviter ses États-membres à mesurer le bonheur de leur population et à utiliser cette information pour orienter leurs politiques publiques.

« Best countries »

Le classement par sondage des meilleurs pays selon U.S. News, Y&R’s BAV et Wharton (https://www.usnews.com/news/best-countries)

En février 2016, le groupe de presse U.S.News a lancé le classement des « meilleurs pays » lors du Forum économique de Davos. Réalisé sur la base de sondages auprès de 21000 personnes réparties dans 80 pays, U.S. News associe son savoir-faire en matière de publication d’indicateurs (historiquement les classements des hôpitaux, écoles et universités des États-Unis) avec l’expertise du groupe de communication Young & Rubicam et celle de la Wharton School de l’université de Pennsylvanie. Le classement résulte d’une adaptation du « Brand Asset Valuator » développé dans les années 1980 par Young & Rubicam pour aider à la création et à la gestion des marques.

Voici les questions qui ont présidé à l’élaboration de la méthode :
Parmi un ensemble d’attributs, quelles sont les perceptions qui forment la marque d’une nation ?
À quoi ressemble la « nation idéale » ?
Que peuvent s’apprendre mutuellement les ministres, les décideurs politiques et les dirigeants du monde de l’administration et de l’industrie ?
Quelles perceptions influencent l’avenir social, économique et politique d’un pays ?
Sur la base des réponses à ces questions, Y&R BAV a élaboré le modèle de société suivant :

Nation Value Creation

Extraits :

« La première chose à retenir est que le seul PIB ne permet pas d’être le « meilleur » dans le monde actuel. Avec plus des deux tiers du potentiel de conduite à tenir classé dans « Leadership », l’impression globale oblige les nations à se comporter suivant des caractéristiques plus progressistes, un concept que nous appelons « objectif intérieur brut ». Les données montrent que les mesures traditionnelles de pouvoir, d’influence et de richesse ne suffisent pas pour être considérées aujourd’hui comme une grande nation. Sorte d’« étalon or » pour évaluer l’influence d’un pays sur la scène mondiale, ces indicateurs reflètent moins le potentiel de croissance à venir. C’est ainsi que de nombreux pays pourraient se reposer sur des lauriers culturels ou naturels, voire être pris au piège par les industries et les produits qui limitent leur compétitivité.
Les aspects « humains » prospectifs de la gouvernance sont bien plus importants. Nos données montrent que la relation entre la qualité de vie et la citoyenneté et le PIB par habitant en PPA est aussi forte que la relation entre le PIB et l’esprit d’entreprise. Ces perceptions de la puissance au XXIe siècle s’écartent des mesures traditionnelles de la puissance, de la production économique et de la force militaire (par exemple, les banques et les chars), ce qui témoigne d’une nouvelle vision mondiale du succès axée sur la population d’un pays et sa vision de l’avenir.
Les gens veulent participer à la création du progrès vers ce que nous appelons la « prospérité inclusive ». Les pays nordiques sont des exemples de ce nouveau paradigme de leadership, leurs marques nationales s’épanouissent dans nos données. La capacité du leadership d’une nation à promettre un avenir plus durable et inclusif à ses citoyens, tout en permettant à tous les peuples du monde d’être un « citoyen corporate » responsable, est de plus en plus important dans le monde actuel. Cette définition évolutive de « Meilleur » invite les dirigeants et les décideurs politiques à jouer un rôle actif dans la détermination de l’avenir de leur pays, à inverser les perceptions négatives et à renforcer la responsabilité sociale et l’innovation comme moteurs de la croissance d’une nation. »
(Best countries. Defining Success and Leadership in The Twenty-First Century, p. 13, https://www.usnews.com/static/documents/best-countries/Best-Countries.pdf)

 

Top 10 US News

 

Et à ce classement par rang le site de U.S. News associe une base d’information composée pour chaque pays d’une quinzaine de photographies représentatives et d’un texte, les statistiques détaillées de chaque pays étant disponibles en cliquant.
Le montage suivant se limite à la capture d’écran de la petite fiche des dix premiers pays et au déroulé du premier paragraphe d’introduction. Ces fiches se succèdent sur la même page et offrent d’un regard le « talent » identifié pour chaque pays. Elles partcipent à la fabrication d’une image et d’une marque. L’image qui ressort de la Suisse est riche d’ingrédients, depuis la fédération (citoyenneté), à la variété de la nature (qualité de vie), la richesse et la neutralité. Les pays moins bien classés, comme la France,
En 2017, ce classement du « meilleur pays » récompense un pays de petite taille, neutre, indépendant de coalitions militaires telles que l’OTAN ou économiques telles que l’Union européenne et riche. Il dispose également du texte d’introduction le plus court – le plus long étant celui réservé aux États-Unis.

 

Top 10 ds meilleurs pays et leurs symboliques

Pays sur catalogue

Le texte qui précède ainsi que les illustrations ont été rédigés en mars 2017, puis laissés en l’état pour prendre du recul.

Que fallait-il penser de tout cela ?

En quelques mois, les démarches de classement ont encore progressé et le Best Countries d’US News présente des territoires sur catalogue.

 

Entrée vers les Best Of
Capture d’écran de Best Countries, le 27 octobre 2017. En se déplaçant sur les cercles, le rang et le nom de pays s’affiche.

 

 

Ranking France US News
« Ranking de la France » en date du 27 octobre sur le site Best Countries. La première « news » pour en savoir plus sur notre pays : les dépenses du président en frais de maquillage. Voilà le champ lexical utilisé pour s’adresser au « consommateur ».

Qui habite le pays marchandise ? A qui s’adresse t’il ?

Des pays marchandises pour citoyens philosophes technocrates analysants ?

Derrière cette réduction des pays aux rangs de produits, c’est globalement un système de pensée, de morale, d’humanité qui est ébranlé.

Voici le point de vue qui s’exprime à l’autre bout de l’échiquier sur YouTube,  avec des extraits de Michel Onfray, Jacques Généreux, Omar Aktouf, mais aussi l’Évangile selon Saint-Marc :

« A quoi sert à un homme de tout posséder s’il perd son âme » (Évangile selon Saint Marc)

Sophie Clairet

Note :

[1] Par définition les marques mondiales luttent contre la discrimination… elles doivent faire appel à tout le monde. Peu importe qui vous êtes. Elles sont élues tous les matins … elles sont le paradigme démocratique ultime.

Guerre fantôme – La vente d’Alstom à General Electric

Art & Drive, les nouveaux usages détournent les « malls »

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Les nouveaux malls ressemblent aux autres, mais pas seulement. Flâner à Muse qui a ouvert à Metz fin novembre peut réserver quelques surprises pour qui s’attendait à ne trouver qu’un alignement d’enseignes identiques à celles qui s’alignent ailleurs. Elles sont bien là, mais quelque chose a changé, elles ne sont plus au cœur du sujet, non plus que l’art qui s’affiche tant.

Ce n’est plus la FNAC, comme du temps de Beaugrenelle et consorts, qui doit faire se déplacer les chalands mais Primark. L’enseigne irlandaise fondée en 1969, et présente en France depuis 2013, associe flux tendus (turn-over très important des collections), bas coûts et faibles marges grâce à des économies sur les plans de communication notamment, sur la main d’œuvre toujours et les impôts systématiquement – siège social basé à Dublin.

À l’étage -2, dans le prolongement des accès piétons de la zone verte du parking (celle qui occupe le sous sol « central » de Muse car débouchant sous l’accès à Primark), sont installés les casiers de livraison Amazon. Quand on lit « commandez sur Amazon, retirez vos colis ici », on tourne le dos à l’entrée du Carrefour Market de 5700 m2, on est dans « Le salon des Muses ».

Ce salon des Muses, c’est l’aboutissement des flux tendus et du fret mondial, la sortie d’un tunnel de production directement greffé à un bassin de chalandise évalué à un secteur de 60 km par le président d’Apsys, Maurice Bansay.

 

Amazon Muse Metz
Cliché pris du puits occupé par des escaliers roulants, entre l’étage -2 et le rez-de-chaussée. Cliché Sophie Clairet, 2 décembre 2017

Au rez-de-chaussée, direction la « Bibliothèque des Arts » : « La majestueuse Bibliothèque des Arts en chêne clair, dessinée par Jean-Paul Viguier, invite à une pause onirique dans le parcours de visite de Muse. Située en face de la place d’O, elle accueille objets réels et écrans, au sein d’un espace propice à la convivialité. » (Dossier de presse)

La Bibliothèque des Arts, Muse à Metz. Cliché Sophie Clairet, le 2 décembre 2017.

Un vaste pan de boiseries enchâssé d’écrans, avec au centre, une mosaïque de 16 écrans qui donnent à voir des livres et des objets scintillants. D’autres écrans de part et d’autre enchaînent des annonces Amazon, La Poste, de l’art pour les enfants à l’étage.

Détail de la Bibliothèque des arts, Muse à Metz. Cliché Sophie Clairet, 2 décembre 2017

De loin déjà, les livres jaunes se détachent : ils appartiennent au monde de Muse et concernent ses architectes. L’interface invite à les toucher et les ouvrir. Mais il est impossible d’activer un autre livre, par exemple Art During peace time, impossible de sortir du tube programmé.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté
Luxe, calme et rigidité (L’invitation au fake, Charles Beau de l’air)

Finalement, Muse c’est un port où arrivent les cargaisons et où les panneaux subliminaux (écrans) conduisent aux quais que sont Primark, Amazon, La Poste. Tout au long des accès, des enseignes classiques de l’ancien monde dépannent, décorent et donnent de la vie. L’air pulsé est parfumé, en ce moment des fragrances de bois prennent le dessus, on pense au sapin.

Le centre-ville a toutes ses chances d’y survivre moyennant une stratégie centrée sur l’humain, la production vertueuse, voire française/locale/lorraine. On y respire de l’air non parfumé et les vigiles ne stationnent pas aux extrémités de ses artères pour ouvrir les sacs. C’est toute la différence entre la cité et un espace privé. À nous de choisir, mais il y a un vrai choix à faire.

Sophie Clairet

Nota :

Extrait : Challenge : « Pour Maurice Bansay, président fondateur d’Apsys, ce n’est pas une question de saturation commerciale, mais de renouvellement de l’offre. « Nous apportons des marques comme Primark, qui n’existaient pas dans la région, nous redynamisons tout un centre ville. Et surtout… nous n’avons pas le choix : nous faisons face à une concurrence redoutable, celle de géants comme Alibaba et Amazon, auxquels il faut apporter une réponse… et cette réponse c’est Muse », assure Maurice Bansay. »

Carte sur table : le sillon lorrain forme la région transfrontalière du Grand-Est

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La preuve par les cartes : le sillon lorrain de Nancy à Trèves et Sarrebruck et au-delà jusqu’à Francfort ressort comme aire métropolitaine transfrontalière bien structurée, où les effets de seuils sont réduits bien en deçà de l’heure pour accéder à une ville de plus de 50 000 habitants.

 

Roadless forest extrait
C’est ici en zoomant https://roadlessforest.eu/map.html

L’Eurométropole Strasbourg-Colmar-Mulhouse prend davantage la forme d’un axe linéaire, contraint par la forêt noire, avec des effets de seuils qui se marquent par de l’orange dans un périmètre plus proche du centre de Strasbourg que du centre de « l’ensemble » Metz-Luxembourg. Le sillon lorrain semble davantage en capacité topographique de fabriquer son hinterland bien à cheval sur la frontière, en gagnant de proche en proche dans toutes les directions. Mais inutile de les comparer et de les opposer, ces conurbations dans le Grand-Est disposent d’atouts aussi différents que complémentaires pour conforter une région qui doit se forger une identité de projet.

Sur la source :

Soutenue par le Joint Research Centre (JRC) de l’Union européenne, Roadless Forest, la carte mondiale de l’accessibilité représente le temps d’accès à la ville de + de 50 000 habitants la plus proche en 2015. Elle est le fruit de la synthèse à l’échelle mondiale de deux ensembles de données de routes, celles d’Open Street Map (OSM) et celles de Google. Dans son article d’explication publié le 10 janvier dans Nature[1], l’équipe de chercheurs, constate une multiplication par cinq de la superficie des routes cartographiées par rapport à celle de la carte précédente en 2000.

Roadless forest
À l’échelle mondiale, les inégalités d’accès aux villes s’accompagnent d’une inégalité d’accès aux soins, soulignant le rôle vital de l’accessibilité. Le travail de ces chercheurs pourra également être utilisé pour équilibrer les demandes en infrastructures et la préservation des écosystèmes.

Pour aller plus loin :

La carte : https://roadlessforest.eu/map.html

La page de l’équipe projet : https://map.ox.ac.uk/research-project/accessibility_to_cities/

Sophie Clairet

[1] Weiss DJ., Nelson A., Gibson HS., Temperley WH., Peedell S., Lieber A., Hancher M., Poyart E., Belchior S., Fullman N., Mappin B., Dalrymple U., Rozier J., Lucas TCD., Howes RE., Tusting LS., Kang SY., Cameron E., Bisanzio D., Battle KE., Bhatt S., Gething PW., A global map of travel time to cities to assess inequalities in accessibility in 2015 Nature. January 2018, https://www.nature.com/articles/nature25181

Si tu veux être invincible…

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1- Tu peux être invincible, si tu ne t’engages dans aucune lutte, où il ne dépend pas de toi d’être vainqueur.
2- Quand tu vois un homme revêtu d’honneurs extraordinaires ou d’un grand pouvoir ou de toute autre illustration, prends garde de le proclamer heureux et de te laisser emporter par ton idée. Si la substance du bien est dans les choses qui dépendent de nous, il n’y a pas de place pour l’envie ni pour la jalousie ; et toi-même, tu ne voudras pas être stratège, prytane ou consul, tu voudras être libre. Or il n’y a qu’une route pour y arriver, mépriser ce qui ne dépend pas de nous.

Très court extrait du Manuel d’Épictète (1), ouvrage compilé par Arrien. Ce petit livre résume la doctrine du philosophe stoïcien Épictète né esclave en 50, vendu à Rome, puis affranchi. Épictète quitte Rome en 89 à la suite de l’édit d’expulsion des philosophes pris sous l’empereur Domitien qui craignait pour sa tyrannie, ouvre une école de philosophie stoïcienne en Épire, et influencera Marc-Aurèle, l’empereur-philosophe romain de la « Pax romana ».

Sophie Clairet

Illustration : Statue d’esclave exposée au Musée de l’Arles antique, Arles (Bouches du Rhône). Cette statue voisine avec le buste de César. Cliché et retouche d’image, Sophie Clairet, avril 2016.

(1) https://fr.wikisource.org/wiki/Manuel_d%E2%80%99%C3%89pict%C3%A8te_(trad._Thurot)

À Briançon, les marges reviennent au cœur du paysage géopolitique européen

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Image du haut : Extrait de la Carte routière des Alpes, 1890, 14e corps d’armée.

Briancon

 

Briançon, Bardonecchia, des lieux de cartes postales connus pour leur air pur, la qualité de la lumière et les pistes enneigées, changent de colonne dans la presse. Les voici dans les pages politiques et qui plus est assortis d’une rénovation totale de leur vocation.

Jusqu’à la « crise migratoire en Europe[1] », ces hautes vallées des Alpes du Sud ont joué un rôle de refuge pour des populations en marge, qu’il s’agisse de Vaudois pourchassés à la suite de la Révocation de l’Édit de Nantes ou de « babas cool » des années 1970.

On pouvait se « fondre » dans ce paysage. On pouvait s’y faire oublier, de plus en plus facilement au fur et à mesure de l’abandon des grands schémas structurants d’aménagement du territoire à la fin du XXe siècle – projets de tunnels dans les Alpes du Sud ou A51 avortée entre Gap et Grenoble. Le militantisme environnementaliste continue d’ailleurs, tout particulièrement côté italien, en se mobilisant pour l’abandon du TGV Lyon-Turin. Les militaires partis de Briançon, les gendarmeries des hautes vallées fermant les unes après les autres, la montagne allait s’endormant entre deux saisons touristiques, quatre mois d’hivers, quatre mois d’été.

Or, la zone du col de Montgenèvre vient de se réinventer en point de passage international à la faveur de la hausse des contrôles des migrants dans les Alpes maritimes plus au sud ou aux débouchés des tunnels plus au nord. La voie internationale des cols aux environs de Montgenèvre redevient essentielle, 2 000 migrants enregistrés en 2017 à Briançon (12 000 habitants).

Les vallées difficiles d’accès en Haute Durance étaient des marges dans un contexte structuré par des pouvoirs publics qui n’avaient pas choisi d’y faire transiter un trafic international de marchandises ou de passagers. Mais à l’échelle des migrations internationales, elles figurent au cœur du jeu politique puisqu’elles concentrent tous les ingrédients qui intéressent d’autres forces et d’autres centres de décision.

Ce nouvel état de fait, les acteurs l’ont tous très bien compris : les politiques y prennent une stature nationale, l’Église y déploie sa mission de soutien aux plus faibles et les ONG humanitaires se diffusent sur un terreau extrêmement favorable. L’entraide constitue une obligation en montagne, sans quoi la mort guette. Qui se paierait le luxe de ne pas agir, au risque de mettre en péril la vie d’un être humain ? Mais qui peut agir sans risquer de contrevenir à la loi ?

Sur ce terreau, un acteur doit aussi se réinventer : l’État. Fondamentalement, ceux qui ont choisi de s’installer ou de rester dans ces montagnes longtemps écartées ont tissé des solidarités qui lui échappent. À la faveur des récentes réorganisations de l’exécutif territorial, de nouveaux services déconcentrés viennent encore de quitter Gap pour Marseille. Alors sur la ligne de crête entre France et Italie, le citoyen finit par ne plus se souvenir qu’il doit quelque chose à cet État qui a confié les routes et les aides sociales aux départements. Au surplus, il a fallu à l’État central 12 jours avant de formuler sa doctrine à l’égard du groupe Génération identitaire qui jouait au garde-frontière au col de l’Échelle dès le 21 avril. Le 4 mai, le ministère de la Justice précise aux procureurs que se substituer à l’État constitue « une immixtion dans une fonction publique » – délit passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (article 433-12 du code pénal). Quelques semaines plus tard, le Préfet de l’Isère ne prendra qu’un jour pour rappeler à l’ordre le maire de Grenoble Éric Piolle lorsqu’il appelle à une forme de désobéissance.

Dans le Briançonnais, tout est réuni pour une innovation ancrée dans le réel et le respect de la « polis », maires, députés, représentants religieux, associations de tous ordres jouant leurs partitions. On continue à lire, une tradition bien ancrée dans ces montagnes, et on écrit beaucoup, depuis les amendements à la loi relative au droit d’asile pour le député des Hautes-Alpes, un appel à soutenir « les 3 de Briançon » quitte à enfreindre la loi pour le maire de Grenoble qui emboîte le pas à l’écrivain Erri de Luca, fièrement campé à Bardonecchia. Chacun se retrouvera le 18 juin pour un débat citoyen qui doit aussi réunir des députés européens.

Quelques dates

  • 8 novembre : Date prévue pour le procès des « 3 de Briançon » dans l’attente d’une décision du Conseil constitutionnel saisi le 9 mai.
  • 18 juin : « Réfugiés : comment protéger durablement ? », débat citoyen à Briançon en présence de nombreux élus de l’union européenne, italiens, français et de l’association Tous Migrants.
  • 31 mai : Le tribunal correctionnel de Gap lève le contrôle judiciaire des « 3 de Briançon » (deux Suisses et une Italienne arrêtés pour avoir « facilité ou tenté de faciliter l’entrée irrégulière en France de migrants » le 22 avril).
  • 29 mai : Le préfet de l’Isère rappelle qu’un maire est « d’abord le garant du respect de la loi ».
  • 28 mai : Éric Piolle, maire de Grenoble, décerne la médaille de la ville à Cédric Herrou – agriculteur condamné en appel à quatre mois de prison avec sursis pour avoir aidé des migrants en situation irrégulière.
  • 25 mai : Découverte par un randonneur d’un corps en décomposition avancée sur un chemin à Bardonecchia, en marge du passage du Giro.
  • 18 mai : Découverte par des randonneurs du corps de Mamadou dans un bois en amont du hameau des Alberts.
  • 9 mai :
    • Le corps de Blessing, nigériane de 21 ans, est repêché dans la Durance à Saint-Martin de Queyrières.
    • La Cour de cassation transmet aux « Sages » une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative au délit d’aide à l’entrée et à la circulation sur le territoire national d’étrangers en situation irrégulière.
  • 4 mai : Publication d’une circulaire du ministère de la justice rappelant aux procureurs l’existence d’infractions « visant les comportements hostiles à la circulation des migrants ».
  • 3 mai : Suspension du compte Facebook de Génération identitaire.
  • 2 mai : L’écrivain italien Erri de Luca lance un appel pour la libération des 3 de Briançon et la liberté de circulation, signé par un millier de personnalités.
  • 27 avril : Génération identitaire se félicite d’avoir raccompagné des migrants à la frontière.
  • 22 avril : Plus d’une centaine de personnes dont « les trois de Briançon » franchissent la frontière avec des migrants au col de Montgenèvre.
  • 21 avril : Début de l’opération « Defend Europe Mission Alpes » du groupe Génération identitaire.
  • 10 avril 2018 : Évacuation d’une soixantaine de migrants de la gare de Briançon.
  • 5 avril : Amendements du député des Hautes Alpes Joël Giraud relatifs à la protection des mineurs reconduits aux frontières et à la définition d’une zone de rétention dans une bande de 10 km de la frontière.
  • 3 avril 2018 : Entretien de Gérard Darmanin dans Corriere della Sierra pour expliquer l’action des douaniers français à Bardonecchia.
  • 30 mars 2018 : Des douaniers français contrôlent un migrant dans un local de la gare de Bardonecchia. Ambassadeur de France convoqué.
  • 9 février 2018 : Secours en gare de Bardonecchia, puis décès à l’hôpital de Turin, d’une migrante enceinte raccompagnée par la douane française.
  • 17-18 décembre : États généraux des migrations, avec une cordée dans la vallée de Névache.
  • Novembre 2016 : Ouverture d’un centre d’accueil des demandeurs d’asile (Cada) de 60 places.
  • Automne 2015 : Accueil à Briançon de 21 migrants provenant de Calais.

Sophie Clairet

Note :

[1] Entrée « crise migratoire en Europe » sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_migratoire_en_Europe

 


Les impacts du changement climatique en Europe

Réussir son activité sans vitrifier la planète : L’intelligence économique du futur

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Henri Dou, Philippe Clerc et Alain Juillet publient L’Intelligence économique du futur[1] en deux tomes, le premier dédié à Une nouvelle approche stratégique et opérationnelle, le second Une nouvelle approche de la fonction information. Les trois regards sont complémentaires, Henri Dou apportant son expertise à l’interface du monde universitaire – création du CRRM (Centre de Recherches Rétrospectives de Marseille) et du premier DEA de veille technologique -, Philippe Clerc celle de l’infatigable arpenteur depuis le monde francophone jusqu’aux Chambres de commerce, Alain Juillet l’approche sensible des dessous des cartes. Et encore ces quelques mots ne sauraient réduire plus de 100 ans d’expérience d’intelligence économique cumulés. Trois regards, deux tomes, et au final un objet du futur… Explications

Une vision et des valeurs

Il faudra bien deux tomes pour corriger les biais cognitifs qui s’empilent dans l’esprit des acteurs de l’intelligence économique tant ces derniers sont nombreux à oublier de se sentir concernés. Stop ou encore à chaque élection. C’est pas moi c’est l’autre. Cela ne nous concerne pas. De toute façon ça nous dépasse…
L’enjeu du futur est de faire entendre la petite musique d’une voie française profondément intelligente, ancrée dans la coopération.
On rappellera d’ailleurs au passage que ce n’est pas parce qu’elle est française que cette voie est la meilleure. On en trouve de nombreuses illustrations en observant la nature et dans bien des ouvrages qui montrent la courte vue de l’agressivité des sociétés humaines par rapport à la force des différentes formes de coopération.

Deux tomes, une galaxie de clés de lecture

IE

Le panorama du premier tome s’ouvre par un arrimage factuel à placer dans toutes les mains : intérêts des États-Unis, de la Chine, de la Russie, de l’Allemagne, etc. Les acteurs sont nommés, États, présidents, les doctrines décodées.
Une profusion d’exemples pour montrer les tendances longues et les « surprises » : « En Allemagne, l’abandon brutal du nucléaire par la chancelière pour des raisons électorales a été considéré comme un progrès » (p. 34).
Cette citation du livre est choisie pour sa pertinence en regard de l’actualité du jour : on trouvera d’ailleurs sur les réseaux sociaux l’illustration d’une guerre d’image certaine.
https://twitter.com/ValerieFaudon/status/1058505035439661061

 

L’ouvrage ne porte aucune idéologie et cet exemple ne doit surtout pas être compris comme illustration d’une approche pro- ou anti- quelque chose. Tout au contraire, il éclaire avec force les dommages que l’idéologie peut occasionner.

D’exemple en étude de cas, on saisit

  • l’importance de l’expérimentation
  • la force d’une équipe qui a su joindre ses talents, déjà autour de Henri Martre – les pères de l’intelligence économique sont par ailleurs présentés sur le portail de l’IE
  • la logique de réseau systématiquement convoquée pour lancer des ponts de coopération et gagner en influence
  • la volonté immuable de diffuser méthodes et outils qui libèrent l’individu des œillères et biais cognitifs et lui permettent d’innover.
  • en filigrane de bien des échecs, quelques constats qui ne stigmatisent pas la bêtise humaine mais pourraient bien éviter les équipes de Shadocks.

S’il est bien un sujet sur lequel les auteurs s’étendent peu, c’est leur propre panthéonisation[2] alors que les pages sont écrites par ceux-là mêmes qui ont fondé l’intelligence économique à la française. Ce type d’effacement derrière l’action se fait rare à l’heure de la communication d’orgueil. Voilà des experts au service d’une cause, qui la servent au mieux en empilant les briques de la maison intelligence économique : contexte, figures tutélaires, concurrents, biais…

Le second tome détaille la trousse à outil pour comprendre et pratiquer l’information en toute intelligence. Les citations sont là encore puissantes et nous engagent à réagir avant que le futur ne s’arrête au mur, invoquant les pères de la prospective, d’Olivier Guichard à Michel Godet. Avec en risque, la fin du rééquilibrage territorial et en espérance, la conquête des pleines capacités d’information de l’individu et des collectivités.
Aux acteurs des nouvelles Régions, des métropoles désormais en charge de développement économique de se saisir intelligemment de ces pages – c’est à dire librement en oubliant quelques minutes l’inféodation à une école idéologique. Il en va de l’emploi de chacun d’entre nous, de l’avenir de nos enfants, de notre capacité à naviguer dans les univers informationnels avec la liberté pour boussole et non le filtre d’une pensée déjà digérée à reproduire.

Outil pédagogique, opérationnel et pragmatique, et véritablement essentiel, merci.

Image du haut : La carte la plus précise de la Voie Lactée Crédit: ESA/Gaia/DPAC.

Sophie Clairet

Notes:

[1] Henri Dou, Philippe Clerc, Alain Juillet, L’Intelligence économique du futur, 228 et 230 pages – Octobre 2018, ISTE édition. (9,90 € au format e-book en PDF). https://iste-editions.fr/products/l-intelligence-economique-du-futur-1 et https://iste-editions.fr/products/l-intelligence-economique-du-futur-2
[2] On trouve en quatrième de couverture :
Henri Dou est président du think tank CIWORLWIDE et consultant international. Il a développé l’enseignement et la recherche en veille technologique, intelligence compétitive, analyse des brevets et développement régional.
Alain Juillet est président de l’Académie de l’intelligence économique et consultant international. Son expertise est reconnue en géopolitique, gestion de crise, influence, renseignement et sécurité au niveau international.
Philippe Clerc est président de l’Association internationale francophone d’intelligence économique et conseiller expert en intelligence économique internationale à CCI France.

 

L’Europe spatiale, c’est aussi dans une IA de Van Gogh

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Des images satellites aux peintures et aux stories, il n’y a qu’un pas. Objectif : renforcement des programmes spatiaux européens et à l’échelle locale, renforcement des équipes de chercheurs et des écosystèmes de start-ups. Ce matin de fin de COP24, on découvre sur les réseaux une belle fusée de représentations à plusieurs étages.

Image satellite retouchée par le logiciel allemand Deepart.io. Les satellites européens d’observation Sentinel fournissent tous les 5 jours des images d’une résolution de10 à 60 m selon les bandes spectrales allant du visible au moyen infrarouge.

Un algorithme développé par Leon Gatys, Alexander Ecker et Matthias Bethge permet de donner à n’importe quelle image le style d’une œuvre d’art. Un outil gratuit, très simple tout droit sorti des bancs de la recherche européenne – The Bethge lab de l’Université de Tübingen, CHILI Lab de l’École polytechnique fédérale de Lausanne et l’Université catholique de Louvain. Ici, c’est une image du satellite européen d’observation de la terre Sentinel 2 qui est utilisée. Elle montre des tourbillons en Méditerranée au large de la Toscane, l’un des sujets d’étude d’Aida Alvera Azcarate, chercheuse en océanographie à l’Université de Liège (@aida_alvera), et originaire des Canaries.

Cette composition est tout à fait représentative des enjeux d’une recherche en réseau qui associe l’ouverture des données et l’influence par l’art – c’est à dire cette fonction qui franchit les limites de la raison pour toucher l’affect.  

Présentation de l’équipe de chercheurs (neurosciences) fondateurs de Deepart.io

Habile association de mots dièses intelligence artificielle et sentinel2, de référence à l’art, de pictogrammes d’un satellite adossé au drapeau européen, du drapeau italien si loin actuellement du rêve européen…

Premiers tweets du programme Copernicus le 15 décembre. 
Couverture du recueil de stories

Le 14 décembre (la veille), la Commission européenne, l’Agence spatiale européenne (ESA) et le Réseau des régions européennes qui utilisent les technologies spatiales (NEREUS) ont publié 99 histoires pour montrer comment tirer parti de Copernicus. Ces publications doivent soutenir le renforcement du programme de surveillance de la Terre pour contrôler les émissions de CO2 annoncé lors de la COP24

Côté français, le CNES a valorisé les données du programme Copernicus, notamment par cette mosaïque de la France sans nuage posée sur le fond de la communauté libre OpenStreetMap :

La mosaïque présentée ci-dessus est à 20 mètres de résolution. Pour suivre cette production et en savoir davantage sur le travail effectué, voir le blog du CESBIO.

A minima, on peut estimer que dans ce concours des influences, OpenStreetMap, et sa communauté libre qui œuvre sans relâche pour le partage des informations géographiques, pourraient participer au jeu avec de jolies images.

Sophie Clairet

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